Qu’est-ce que le Covid-19 nous apprend sur notre futur énergétique ?
Dès la mi-mars, avec la mise en place du confinement en France et dans beaucoup d’autres pays, les opérateurs d’eau, de gaz ou d’électricité (opérateurs d’importance vitale) ont dû adapter leur production et leur distribution à de nouveaux paradigmes. Comment éviter une pénurie d’eau potable, ou prévenir un déséquilibre entre la production et la consommation d'électricité pouvant provoquer un éventuel “black-out” ? Nous sommes revenus sur cette situation inédite et les ajustements qui ont été nécessaires pour tenter d’anticiper les conséquences à long terme.
L’imprévisibilité énergétique
Une des premières conséquences de la crise fut le bouleversement total des prévisions liées à la consommation d’énergie. Elle a drastiquement chuté dans tous les pays impactés par des ordres de confinement : d’une part, la majeure partie des grandes industries, normalement très consommatrices, ont été mises à l’arrêt, et d’autre part, la société civile, en très grande majorité confinée, a vu sa consommation d’énergie exploser. Paul Da Cruz, Global Head of Business Development pour Energy & Utilities chez Atos, explique : « Côté foyer, la demande fut anormale car les motifs de consommation à la maison ont été bouleversés. Heureusement, certains pays étaient plus en avance que d’autres dans la manière de gérer cette crise, et nous avons pu apprendre les uns des autres : en France, nous nous sommes inspirés de l’Italie par exemple, qui a partagé beaucoup d’informations sur sa propre expérience. »
En temps normal, les modèles de prévision énergétique sont essentiels au bon fonctionnement des opérateurs d’eau ou d’énergie. Si l’on prend le cas de l’électricité, qui ne se stocke pas (ou pas en grande quantité), les données de consommation des particuliers et des professionnels tout comme les informations météorologiques (vent, débit des cours d’eau…) permettent d’ajuster la production et la distribution d’électricité d’un jour sur l’autre, à l’échelle locale. Les données collectées tout au long de la chaîne de valeur énergétique permettent une meilleure visibilité de la consommation globale, pour éviter le déséquilibre entre l’offre et la demande qui peut entraîner des pannes ou des coupures de courant. Un énorme travail a donc été réalisé autour de la prédictibilité de la demande, notamment grâce à l’intelligence artificielle, afin de permettre aux modèles de prévision de s’adapter rapidement. « La crise a conforté notre conviction que les technologies numériques autour de la donnée sont aujourd’hui de plus en plus indispensables au secteur des utilities », souligne Paul Da Cruz.
Prévoir et produire en télétravail
Des “trading floors” où les prévisions énergétiques sont analysées aux salles de contrôle des centrales nucléaires, en passant par les interactions avec les consommateurs et clients, il a fallu réagir, et vite, pour maintenir à flot la production et la distribution sur toute la chaîne de valeur énergétique.
Dans certains cas, le télétravail était possible, et on a assisté à une accélération considérable de la virtualisation des process. Atos a par exemple travaillé avec certains clients sur la digitalisation de leurs centres d’appels pour assurer la continuité de service. La gestion de la relation client, avec la fermeture des boutiques et bureaux, a également dû être repensée et adaptée aux besoins des consommateurs. La mise en place de systèmes automatisés pour gérer les modifications des délais de paiement a pu permettre aux clients durement touchés par la crise d’étaler leur facturation en continuant à bénéficier du service. Cette situation mondiale a entraîné un constat sans appel : les acteurs ayant déjà entamé leur digitalisation ont bénéficié d’un réel avantage dans la transformation de leurs process : « Ceux qui ont le mieux géré leurs infrastructures privées, publiques et hybrides s’en sont le mieux sortis », résume Paul Da Cruz.
Pourtant, dans certains cas la virtualisation n’est pas une option : contrôler une centrale nucléaire entièrement par télégestion est pour l’instant impossible. Il a donc fallu renforcer la protection des agents de terrain : l’exigence est montée d’un cran concernant les autorisations de permis de travail, et quand la télégestion des centrales est arrivée au point limite, ce sont bien entendu des masques, gants, visières et autres gels hydroalcooliques qui furent distribués aux équipes amenées à se rendre sur site.
Et après ?
A l’heure où l’on a vu le prix du baril de pétrole brut ou le coût du mégawattheure européen descendre en-dessous de 0 ces deux derniers mois, les opérateurs énergétiques font face à une incertitude sans précédent sur leurs revenus, qui risque de limiter leurs investissements dans les technologies. Cependant Paul Da Cruz dresse un constat sans appel quant à l’importance de la transformation digitale dans le secteur : « avant le Covid-19, on avait déjà constaté que la digitalisation du secteur n’était plus une option. Je pense réellement que le passage au cloud devient une nécessité, car ceux qui avaient déjà entamé ce parcours ont pu très vite s’adapter à cette situation sans précédent. »
En effet, le besoin de prévisibilité des modèles énergétiques s’accroît depuis plusieurs années, afin notamment d’accompagner la transition énergétique. Alors que la qualité de l’air s’est améliorée dans toutes les régions confinées, les défenseurs de la transition énergétique gagnent du terrain, et l’écho de leurs revendications dans l’opinion publique également. A l’heure où l’offre et la demande deviennent moins linéaires, en particulier en temps de crise, il s’agira de trouver l’équilibre le plus juste, entre production et consommation, entre coûts et investissements, entre carboné et renouvelable. Paul Da Cruz conclut : « est-ce qu’il n’est pas l’heure de stimuler l’auto-production, la décarbonation ? Je crois que cette crise doit nous inciter à envisager de nouvelles manières de produire et de consommer. »