L'ordinateur quantique une promesse pour l'industrie nucléaire
Philippe Duluc
Chief Technology Officer, Big Data & Security, Atos
Paul Da Cruz
Global Business Development Director for Energy and Utilities, Atos
Pour relever les innombrables défis auxquels il doit faire face, le secteur du nucléaire a besoin de toujours plus de puissance de calcul. Alors que les supercalculateurs d’aujourd’hui n’y suffiront bientôt plus, l’informatique quantique suscite intérêt et espoirs.
Composante clé de l’offre énergétique, la filière nucléaire est confrontée à d’innombrables enjeux tant pour assurer son présent que pour préparer son avenir. Le besoin le plus pressant concernant le parc existant est celui de la baisse des coûts. Pour que l’atome reste compétitif, on évoque une diminution de l’ordre de 30 % de son coût de revient et ce, bien entendu, sans transiger sur la sécurité.
Les solutions pour y parvenir sont diverses. La simulation comportementale ouvre des scénarios inédits pour optimiser la sûreté et l’efficacité des opérations en fournissant aux techniciens une information et une prédiction du comportement des équipements de la centrale d’une complétude et d’une précision sans égal. La réalité augmentée leur permet d’agir plus vite, plus efficacement et avec plus de sureté, en parfaite coordination avec la salle de commande. L’exploitation des données pour mieux piloter la production ou utiliser la planification et de la conception 5D permettent d’optimiser les opérations de maintenance et de construction.
Fondées sur l’Internet des objets, la 3D, le big data, l’intelligence artificielle et la simulation complexe, de telles applications opérationnelles exigent des puissances de calcul il y a peu réservées à la recherche.
Le calcul au cœur de la filière nucléaire
La mise au point, la validation industrielle et la construction de réacteurs de nouvelle génération, comme les petits réacteurs modulaires (SMR), les réacteurs à haute et très haute température (HTR, VHTR) et les réacteurs à neutrons rapides (RNR), exigent toujours plus de capacités de calcul pour la modélisation, et la simulation.
Alors que l’industrie et la recherche nucléaires figurent déjà parmi les premiers utilisateurs du calcul haute performance (HPC - High Performance Computing), le CEA disposant par exemple de certains des supercalculateurs les plus puissants au monde, tous ces sujets vont faire exploser les besoins. Or, le HPC classique entrevoit déjà ses limites. Par les voies traditionnelles, la course à la puissance, qui est d’abord une course à la miniaturisation, se rapproche du mur infranchissable de l’échelle atomique. Aussi, le secteur est-il très attentif au développement de l’ordinateur quantique, qui doit permettre de dépasser cette limite mais aussi de multiplier de façon exponentielle les performances sur certains algorithmes.
Le quantique, au-delà du High Performance Computing
L’ordinateur quantique repose sur des objets physiques subatomiques (qubits) dont les états peuvent encoder une information binaire. La grande difficulté est de parvenir à intriquer et stabiliser ces qubits pour obtenir l’équivalent d’un processeur. Les qubits forment des édifices instables, fragilisés par des phénomènes dits de « décohérence ». À ce jour, on parvient à stabiliser une vingtaine de qubits de façon opérationnelle et une cinquantaine dans un cadre expérimental. Tolérant certaines perturbations, les systèmes baptisés Noisy Intermediate-Scale Quantum (NISQ) affichent quant à eux 50 à 100 qubits dont les éphémères périodes de stabilité suffisent pour réaliser certaines opérations. De façon générale, les calculateurs quantiques ne sont pas nécessairement voués à devenir des ordinateurs généralistes mais plutôt à servir d’accélérateurs sur certaines portions de calcul ou à traiter spécifiquement des problèmes pour lesquels ils sont particulièrement adaptés, comme les problèmes à N corps ou l’optimisation combinatoire.
Or l’un et l’autre intéressent au plus haut point le secteur nucléaire ! Pour la recherche, pouvoir simuler des systèmes dynamiques à N corps fortement corrélés serait une avancée décisive pour percer les secrets de la matière. Quant aux problèmes combinatoires, ils constituent, à l’image de l’optimisation des arrêts de tranche, l’un des enjeux majeurs des industriels. Il n’est donc guère étonnant de retrouver le Département de l’Énergie américain (DOE) parmi les premiers clients du simulateur quantique QLM d’Atos ou de voir le CEA lancer une chaire industrielle visant notamment à développer des qubits plus robustes.