L'assurance face à ses propres risques
Professionnels des risques s’il en est, les assureurs ont clairement identifié pour eux-mêmes deux menaces majeures : manquer le virage des nouvelles technologies et ne pas répondre aux besoins émergents de leurs clients. Sous la pression, l’heure est à la réinvention.
Pour les assureurs, courtiers, mutuelles et autres Institutions de Prévoyance, le temps est loin où la pression concurrentielle était relativement faible et les clients plutôt captifs. Désormais, les menaces fusent de toutes parts. D’un côté, se multiplient les assurtechs avec leurs modèles disruptifs comme l’assurance à l’usage, la souscription 100 % en ligne pour les risques professionnels ou les robots comparateurs qui ont d’ores et déjà transformé le marché de l’assurance des particuliers. De l’autre, le péril vient d’un fort mouvement de concentration et d’une course à la taille qui touche tous les acteurs, que ce soient les assureurs globaux (rachat du groupe XL Catlin par AXA) ou les mutualistes et autres Institutions de Prévoyance. Le secteur est fragilisé par des taux d’intérêt chroniquement bas qui obligent à une rigidité tarifaire quand bien même le marché est en surcapacité. Enfin, il voit déferler la vague du big data, qui promet beaucoup à ceux qui sauront tirer parti de l’immense gisement de données. Mais à condition que les GAFA ne l’exploitent pas les premiers en se lançant dans l’assurance.
Digitalisation à marche forcée
L’irruption du numérique et la rapidité de son adoption par les consommateurs bouleversent la relation client, obligeant les assureurs à une profonde refonte de leurs processus et de leurs organisations. Au contraire des «pure players» digitaux, qui peuvent concevoir leurs plateformes de services à partir d’une feuille blanche, les assureurs « historiques » doivent composer avec l’existant. Ils ne peuvent faire abstraction ni du poids de leurs organisations, ni de la complexité de leurs systèmes hétérogènes, lesquels compliquent la mise en place des technologies agiles nécessaires à la centralisation de leurs données clients. Selon une étude réalisée en juillet 2017 par l’éditeur Liferay, seuls 49 % des assureurs français affirmaient disposer d’une vision globale de leurs clients (liste des contrats, préférences, dernières interactions…). Et, tandis que 25 % reconnaissaient débuter tout juste leur transformation digitale, 3 % à peine estimaient avoir achevé la leur. Outre la satisfaction client, la digitalisation des services est perçue par deux assureurs sur trois comme la principale source de réduction des coûts grâce notamment aux self-services digitaux (portails clients et chatbots permettant de payer ses primes, d’obtenir une attestation, une pré-autorisation médicale, une synthèse de ses polices, etc.).
IA et blockchain, ruptures annoncées
Mais, pour les assureurs, la révolution technologique ne s’arrête pas au digital. En back-office, le développement de l’intelligence artificielle ouvre en effet d’immenses perspectives en matière de robotisation et d’automatisation des processus (RPA) pour le traitement administratif d’importants volumes de données : premiers traitements des déclarations de sinistres, facturation, réassurance, reporting réglementaire...
Enfin, des réflexions théoriques, la blockchain arrive au stade des premières applications, laissant entrevoir son immense potentiel en matière de simplification et de sécurisation des échanges. C’est ainsi qu’en 2017 quatorze assureurs ont validé un principe de blockchain pour une plateforme d’échange sécurisé des données des assureurs emprunteurs (la loi Hamon permettant maintenant de changer d’assurance emprunteur en cours de prêt).
Risques émergents ou risques submergeant ?
Toujours en phase avec les besoins de la société, l’assurance est une matière en constante évolution. Or, notre monde ne manque pas de risques nouveaux qui demandent, d’une façon ou d’une autre, à être couverts. On peut notamment citer les cyber-risques, pour lesquels les entreprises reconnaissent désormais majoritairement qu’elles ne peuvent plus faire l’économie d’une assurance. Citons également l’émergence des véhicules autonomes, qui questionnent la notion de responsabilité. Ou encore l’essor des drones qui pourraient, demain, sillonner nos ciels pour le meilleur et pour le pire. L’économie collaborative et du partage pose également de sérieux défis : si demain, par exemple, les particuliers ne possédaient plus leur propre véhicule, qu’adviendrait-il de la branche auto qui représente aujourd’hui 55 % du marché ? Alors que la branche assurance santé offre quant à elle parmi les plus forts potentiels de croissance, l’e-santé et la télémédecine deviennent des terrains fertiles d’innovation. On voit par exemple certains assureurs activement collaborer avec des startups de la healthtech sur des concepts novateurs comme des télécabines de consultation en médecine générale.
Du côté des entreprises, la demande évolue également. On constate en particulier une forte tendance à protéger davantage les actifs intangibles (propriété intellectuelle, données clients, réputation...) et à se prémunir de scénarios nouveaux occasionnant des pertes d’exploitation sans dommages matériels, suite par exemple à la carence d’un fournisseur, au retrait d’un agrément ou d’une autorisation administrative, à l’évolution de la réglementation, à une épidémie… L’inflation des risques traditionnels Souvent liés aux évolutions technologiques et sociétales, ces risques émergents ne doivent cependant pas faire oublier les risques traditionnels, qui non seulement perdurent mais se révèlent de plus en plus coûteux.
Ce sont notamment les dommages liés aux catastrophes naturelles, multipliées et amplifiées par le réchauffement climatique, et les catastrophes humaines, comme la gigantesque explosion du port de Tianjin en août 2015 qui a fait 169 morts et 800 blessés, et causé 1 milliard d’euros de dégâts. 2017 fut ainsi la troisième plus mauvaise année de l’histoire du secteur avec 306 milliards d’actifs, dont 136 milliards assurés, détruits par des catastrophes naturelles et humaines. Dans un monde où les crises s’enchaînent à un rythme de plus en plus soutenu et avec des conséquences de plus en plus lourdes, les assureurs, qui ont vocation à soulager les hommes, les sociétés et même les États de certains de leurs risques, se doivent avant tout d’être eux-mêmes résilients. Or, face à l’ampleur mais aussi l’urgence des changements et des risques auxquels ils sont confrontés, le défi est de taille.