La technologie n’a pas fini de muscler l’expérience des fans de sport
Jeux Olympiques, coupes du monde, tournois : pendant que les athlètes s’affrontent sur le terrain, un autre match se joue dans les gradins et derrière les télévisions. Cette compétition parallèle, c’est celle de la conquête des fans, sans qui le business des rencontres sportives n’existerait pas. Pour marquer des points auprès de ces derniers, organisateurs, diffuseurs et partenaires technologiques rivalisent d’audace. Mais leur ingéniosité pour enrichir l’expérience des fans est telle que l’on finit par se demander : demain, pourra-t-on encore suivre le sport à l’œil nu ?
La course au temps réel
De toutes les industries bousculées par l’avènement des nouvelles technologies, le secteur sportif est très certainement l’un des plus touchés. Et pour cause, les exigences des fans ont évolué en même temps que leurs habitudes de loisir et de consommation : profiter de contenus augmentés d’informations et personnalisés selon leurs attentes est désormais un prérequis. Mais contrairement aux autres types de divertissements, la compétition sportive a ce petit quelque chose en plus qui vient tout complexifier : elle est aujourd'hui l’un des derniers programmes qui se consulte spécifiquement en temps réel. Voilà donc les organisateurs sportifs sommés d’accomplir des prouesses pour faire vivre en direct des compétitions enrichies de statistiques et de contenus sur-mesure.
Téléobjectif aux Jeux Olympiques de 1936
Les liens entre technologie et sport sont pourtant récents : c’est à l’occasion des Jeux Olympiques d’été de 1936 qu’ont lieu les premières retransmissions sportives à la télévision. Il faut attendre les Jeux Olympiques d’hiver 1964 pour voir les premiers chronométrages affichés en temps réel à l’image. « L’innovation s’est considérablement accélérée au XXIème siècle » atteste Fabrice Doreau, Head of Strategic Engagement de l'entité Major Events d'Atos, partenaire mondial des Jeux Olympiques depuis 2002, après avoir accompagné le comité local de Barcelone dès 1989. « Chez Atos, nous avons commencé par travailler sur la retransmission des matchs et l'incrustation de données à l'image, et aujourd’hui nos enjeux sont l’accès à l’information en mobilité et l’hyper-personnalisation des contenus grâce à l’intelligence artificielle ».
« Le foot sera le plus grand spectacle télévisuel »
(Ernest Chamond, inventeur de la télévision, 1927)
Sur un événement tel que les Jeux Olympiques, suivi par 4 milliards de spectateurs, la retransmission des données en direct est déjà un défi. « Pour récupérer les données brutes, en extraire des résultats et statistiques et créer des tableaux de médailles, il faut se montrer innovant et performant puisqu'il peut y avoir jusqu'à 22 sites de compétitions en simultané, avec des sports très différents, et nécessitant la coordination de 80 systèmes distincts ». L’entreprise a ainsi créé un format unique de flux d’échange de données et uniformisé la manière de communiquer sur les différentes disciplines. Un progrès de l’image donc, mais pas seulement : les commentateurs qui devaient hier se déplacer dans le pays hôte peuvent aujourd'hui commenter à distance les images et statistiques mises à leur disposition.
Aux Jeux Olympiques de Londres 2012, l’ajout de données dynamiques
permet d’afficher le record du monde sur la performance live des athlètes.
Stade 0 - Canapé 1 ?
Mais à force d’améliorer la retransmission des événements sportifs, sera-t-on plus à l’aise derrière un écran qu’au stade pour suivre un match ? D'après la chaîne de télévision américaine ESPN, le nombre de fans préférant se rendre physiquement au stade a chuté de 54% à 29% entre 1998 et 2012. Un chiffre qui s’explique entre autres par le fait que les clubs tirent moins de revenus de la fréquentation des stades que par des droits de rediffusion télé, qui n’en finissent d’ailleurs plus d’augmenter : entre 2011 et 2016, la valeur du marché des droits sportifs a ainsi progressé de 25%.
Pour réenchanter l’expérience de l’enceinte sportive, les organisateurs ont identifié un levier : la réalité augmentée. En Corée du Sud mi-2019, un dragon a ainsi fait irruption dans l’Incheon SK Happy Dream Park à l’occasion du lancement de la nouvelle saison du championnat de baseball. La NBA a quant à elle permis aux spectateurs d’accéder aux statistiques et visualisations de données d’un match de baseball en direct depuis le stade, et d'interagir avec celles-ci via une interface en réalité augmentée.
L’invité surprise de l’Incheon SK Happy Dream Park en Corée du Sud :
un dragon en réalité augmentée
Après l’AR, la VR : « Demain, on veut permettre de vivre le match physique en mode esport, grâce à la réalité virtuelle », annonce Fabrice Doreau. « Il s’agit de rapprocher les fans de leurs héros : nous travaillons actuellement sur la création d’avatars 3D fusionnant des captures photoréalistes des athlètes avec les flux vidéos de leurs mouvements pour recréer virtuellement l’action qui se déroule en direct. » Il sera ainsi bientôt possible de suivre l’événement en direct de n’importe quel point de vue, que ce soit en plan large ou en vue à la première personne.
Reste que ces prouesses technologiques ont un coût. Le déploiement du réseau 5G et l’amélioration des performances de calcul en général sont donc très attendus chez les professionnels du secteur. Autre technologie stratégique : l’intelligence artificielle va rendre possible le traitement automatique des données, pour affiner encore la personnalisation de l’expérience pour le fan.
Demain : l'avant-match et l'après-match
Mais le futur de l’expérience du fan se situe peut-être ailleurs. Dans l’ombre de ces expériences à sensations, d’autres technologies - moins spectaculaires - améliorent sensiblement le séjour des spectateurs au stade. Grâce à des objets connectés déployés dans l'enceinte sportive, les organisateurs peuvent optimiser les flux de personnes et s’assurer que l’avant-match et l’après-match se déroulent sans encombre. « Les nouvelles technologies permettent d’améliorer la logistique du stade, et d’améliorer l’expérience client en l’aidant à s'y rendre, à profiter du spectacle et à rentrer chez lui sans difficultés », détaille Fabrice Doreau. Les organisateurs évaluent ainsi l’affluence et les zones d’attente dans le stade via des capteurs de chaleur ou des caméras de surveillance. Ils peuvent mesurer le sentiment global des visiteurs par l’analyse textuelle des réseaux sociaux et optimiser le remplissage du stade grâce à des cellules de comptages et des sièges connectés. En fonction des informations collectées, ils peuvent alors envoyer des notifications mobiles pour aiguiller les spectateurs, déclencher des opérations de maintenance ou encore redistribuer leurs équipes en fonction des besoins.
« Nous allons plus loin qu’un simple stade connecté : c’est une enceinte intelligente installée dans une ville intelligente », précise Fabrice Doreau. À l’échelle du stade, cette approche permet de fluidifier l’accès des spectateurs dès le départ de leur domicile, en encourageant le covoiturage ou le recours aux transports en commun. À l’échelle de la ville, elle permet d’impliquer les citoyens bien en amont, en particulier sur les grands événements comme les Jeux Olympiques, qui transforment les villes hôtes et touchent toute la population. Ainsi, si l’innovation se concentre aujourd'hui sur la recherche d’un spectacle augmenté, peut-être cherchera-t-on demain une technologie au contraire invisible, n’ayant pour seul but que de réunir les conditions du vivre-ensemble et célébrer le rassemblement collectif.
En 2018, l’architecte spécialiste des stades Jacques Herzog, confiait à L’Equipe Magazine que, pour rivaliser avec la télévision, le stade « doit insister sur les aspects les plus typiques du physique : il faut qu’on sente l’herbe, qu’on entende les bruits. Nous restons des êtres physiques et sensoriels. Nous possédons l’odorat, le toucher, l’ouïe, tandis que la virtualité et les médias offrent ou vont offrir des sensations incroyables mais différentes. » Demain, la technologie devra donc continuer d’innover, mais pour mieux se faire oublier.