La révolution énergétique s'accélère
Réclamée par la société et poussée par les pouvoirs publics, la transition énergétique est désormais une réalité. Mais avant de s’engager sur ce chemin vertueux, où la lutte contre les gaspillages sera déterminante, il est indispensable de rappeler quelques concepts et chiffres clés.
D’ici à 2050, la France comme l’Union européenne visent à réduire de moitié leur consommation finale d’énergie par rapport à 2012 avec, pour notre pays, un objectif intermédiaire de -20 % en 2030. En apparente contradiction avec notre idée du développement économique, ces objectifs sont-ils pour autant irréalistes ? Pour répondre (en partie) à cette question, intéressons-nous au concept d’efficacité énergétique.
L’efficacité énergétique, une notion à clarifier
Aujourd’hui, l’efficacité énergétique est entrée dans notre quotidien à travers les étiquettes « énergie » des appareils électroménagers, qui sensibilisent le consommateur à leur consommation électrique, ou encore le diagnostic performance énergétique des logements, qui donne à l’acquéreur ou au loueur une idée de ses futures factures de chauffage. Mais l’efficacité énergétique est d’abord une notion technique qui permet de comparer le rendement de machines impliquant des conversions d’énergie, qu’elle soit mécanique, électrique ou calorifique. Pour un moteur thermique, par exemple, l’efficacité énergétique sera le rapport de l’énergie mécanique transmise au véhicule à la chaleur produite par la combustion du carburant.
En généralisant, l’efficacité énergétique apparaît donc comme le rapport entre l’énergie disponible et l’énergie consommée. Il est toujours inférieur à 1. Le moteur thermique de nos véhicules a ainsi un rendement de l’ordre de 25 %, soit une déperdition des trois quarts de l’énergie produite. Produire de l’électricité à partir de la chaleur n’est guère plus efficace. Une centrale nucléaire ne valorise que 33 % de l’énergie calorifique libérée par la réaction de fission tandis qu’une centrale au charbon peut convertir 40 % de sa chaleur en électricité, voire 60 % lorsqu’elle est en partie récupérée par une deuxième turbine. En revanche, la conversion d’électricité en énergie mécanique (ou inversement) est beaucoup plus efficace, le rendement du moteur des véhicules électriques atteignant ainsi 90 %.
Qu’est-ce que l’efficacité globale du système énergétique ?
Au niveau macroéconomique (à l’échelle d’un pays, par exemple), l’efficacité du système énergétique compare les ressources primaires consommées à l’énergie nécessaire aux différents usages de ses habitants : logement (chauffage et électricité domestique), transport et processus industriels. On utilise pour cela le diagramme de Sankey qui représente, pour chaque source (pétrole, nucléaire, renouvelables…) l’énergie disponible, perdue et consommée. On utilise comme unité de référence la tep (tonne d’équivalent pétrole) qui correspond à l’énergie produite sous forme de chaleur par la combustion d’une tonne de pétrole (1 tep = 42 GJ, soit 11,6 MWh ou 11 600 kWh).
« Nous gaspillons actuellement près de 80 % de l’énergie utilisée pour produire et consommer des biens et services. »
Pour la France, le diagramme de Sankey montrait en 2015 que la consommation nationale de ressources primaires atteignait 260,5 millions de tep pour 162,2 millions de tep finalement consommées. Près de 35 % de l’énergie primaire sont donc perdus au fil des opérations de transformation et de distribution. Aux limitations intrinsèques des divers processus de production d’énergie, il faut notamment ajouter les pertes liées à l’acheminement de l’électricité dues à l’effet Joule, à l’autoconsommation et à la fraude, soit environ 10 % en France.
Bâtiment et transport, deux secteurs énergivores
Intéressons-nous à présent à la consommation finale. Le premier consommateur d’énergie est le secteur du bâtiment, principalement via le chauffage, la climatisation et l’électricité domestique. En France, le bâtiment absorbe plus de 40 % de la consommation totale d’énergie finale. Or, le pays compte près de 60 % de logements anciens, deux à trois fois plus énergivores que les logements récents. Avec un modèle simple, et en tenant compte de nos comportements de surconsommation qui comptent pour près de 10 % de notre facture d’énergie, on peut estimer qu’actuellement l’efficacité énergétique du bâtiment ne dépasse pas 40 %. La rénovation thermique et l’introduction de compteurs « intelligents » permettront d’améliorer sensiblement ce chiffre.
Les transports concentrent quant à eux plus de 30 % de notre consommation totale d’énergie. 90 % de celle-ci provenant de produits pétroliers raffinés, l’efficacité énergétique du secteur est proche du rendement des moteurs thermiques, soit 25 %. Beaucoup plus efficace, la mobilité électrique offre donc un axe fort de progrès.
« Les énergéticiens doivent abandonner leur modèle de croissance historiquement fondé sur le volume de kWh vendu. »
Le gaspillage énergétique, revers du développement économique
En supposant que l’industrie est tout aussi énergivore que le bâtiment et les transports, et en tenant compte des pertes liées au système énergétique, un calcul simple montre que nous gaspillons actuellement près de 80 % de l’énergie utilisée pour produire et consommer des biens et services. Plus pessimiste encore, l’économiste John A. Skip Laitner avançait en 2013 le chiffre de 86 %. Le gâchis est quoi qu’il en soit faramineux et notre modèle énergétique épuise littéralement des ressources naturelles non renouvelables au détriment des générations futures. Toutefois, le gaspillage est tel que nous ne pouvons que progresser. Sous la pression d’une prise de conscience générale, les pouvoirs publics et la société dans son ensemble incitent les acteurs économiques à intégrer cette externalité négative dans leurs coûts.
Surtout, l’objectif global de réduction de moitié de notre consommation finale d’énergie d’ici 2050 par rapport à 2012 pourrait atteint si, toutes choses égales par ailleurs, nous parvenions à réduire de 20 points le gaspillage.
Les énergéticiens face à un nouveau paradigme
Dans ce contexte, la demande en énergie est appelée à baisser et l’on observe d’ailleurs depuis quelques années une stabilisation de la consommation d’électricité. Les énergéticiens doivent donc abandonner leur modèle de croissance historiquement fondé sur le volume de kWh vendu. La transition énergétique leur impose un nouveau paradigme dans lequel on produit, partage et consomme plus localement et « intelligemment » une énergie de plus en plus renouvelable. Face à ce bouleversement, il leur faudra notamment développer de nouveaux services à valeur ajoutée autour de la maîtrise de l’énergie, le digital jouant à cet égard un rôle fondamental.
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